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| En Espagne, une plaisanterie
apocryphe circule à l’annonce de la mort du dictateur en 1975 : « Franco
est mort, qui de nous aura le courage de le lui dire ? » Dès lors qu’il est question de
traiter, sous quelque forme que ce soit, un sujet aussi complexe (et souvent
compliqué) que celui de la Transition démocratique espagnole, restituer une
note tragi-comique nous permet parfois de mieux saisir la gravité d’une
histoire marquée par la figure d’un seul homme, Franco. Un moment historique
méconnu ou mal connu.
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À première vue, il peut nous paraître bref et sans
embûches, harmonieux et pacifique. Pour l’historien Bartholomé Bennassar, dans
la biographie qu’il a consacrée au dictateur, la transition se fit « sans
convulsions sanglantes » (Franco, 2002). Pour Joseph Pérez (Histoire de
l’Espagne, 1996), la violence est cantonnée au terrorisme de l’ETA. Aujourd’hui,
il convient de nuancer ces deux approches. En réalité, cette période
trouble bornée par les années allant de 1975 à 1982 parut longue et
fastidieuse aux yeux de nombreux espagnols, dissonante sur le plan
politique, mais surtout d’une extrême violence. Une période de rêve pour
un auteur de thriller et dont le schéma narratif est saturé d’éléments
perturbateurs à peine commencée la situation initiale…
Aujourd’hui,
aborder la transition sous cet angle revient à rouvrir des plaies qui
ont traversé l’histoire en y laissant de nombreux hiatus entre ce qui
est resté gravé dans les représentations collectives et la rudesse des
évènements auxquels les Espagnols furent confrontés. Car ces années-là
ont été des années de plomb corrélées à une véritable stratégie de la
tension émanant de différents groupuscules d’extrême droite. Les
marqueurs de l’Italie des Brigades rouges et des néo-fascistes ne sont
pas loin (terrorisme, assassinats politiques, tentatives de
déstabilisation).
Pour une définition de la transition démocratique espagnole
C’est
d’abord un processus politique dont on peut distinguer trois temps : la
mort de Franco (1975), l’Espagne adopte une nouvelle Constitution et
devient un Etat de droit (1978), puis l’alternance politique avec la
victoire du PSOE et la modernisation du pays (à partir de 1982).
Le
22 juillet 1969, devant les Cortès, le prince des Asturies alors âgé de
31 ans, Juan Carlos, est désigné successeur légitime du Caudillo en
prêtant serment de « fidélité au Mouvement national ». Un geste
politique qui ne manquera pas d’irriter les secteurs phalangistes du
régime, sans parler de l’hostilité unanime de la gauche, parti
communiste clandestin en tête, et même du roi Don Carlos qui attendra
1977 pour renoncer officiellement à ses droits dynastiques. Cette
désignation, œuvre de l’amiral et vice-président du gouvernement Carrero
Blanco devait assurer la continuité du franquisme après Franco.
Aussi,
la transition démocratique amorcée au lendemain de la mort du dictateur
représente un défi pour le roi. Retour des libertés publiques,
légalisation de tous les partis (y compris le PCE) et des syndicats,
organisation d’élections et élaboration d’une nouvelle Constitution.
La
tâche sera rude, elle rencontrera de nombreuses oppositions à commencer
par une armée orpheline qui ne tardera pas à se sentir trahie par le
chef de gouvernement nommé dès 1976, un certain Adolfo Suárez.
Toutefois,
un compromis historique s’installe avec les Pactes de la Moncloa qui
réunit tous les représentants politiques et syndicaux, car il est
nécessaire d’entamer des réformes économiques. La loi d’amnistie rend
caduques toutes peines prononcées depuis 1939 pour des délits politiques
ou d’opinion. On oublie donc les crimes perpétrés par la dictature.
Pour de nombreux historiens, la transition est un épisode bref, un
processus politique irréversible résultant d’une restructuration
politique.
C’est sans compter sur le terrorisme tardo-franquista,
celui des ultras de droite, qui n’a jamais vraiment occupé les manuels
d’histoire et encore moins la justice. Rares sont ceux qui sauraient
décrypter l’acronyme du GRAPO (Groupe Révolutionnaire Armé du Premier
Octobre). Qui se souvient même de la crise sanitaire de l’huile de colza
frelatée (1981) ?
On
imagine mal à quel point Suárez fut détesté des Espagnols pendant une
période marquée par une crise sans précédent sur le plan économique et
institutionnel. Pendant au moins deux ans, en 1979 et 1980, on
comptabilise une victime du terrorisme toutes les 72 heures. Mais
qu’importe, la tentative du coup d’État est perçue comme une
pantalonnade qui héroïse un roi dont tout le monde doutait de sa
capacité à régner. La victoire du PSOE en 1982 fait entrer l’Espagne
dans la modernité. L’affaire est classée.
Il est temps de se pencher sur ce cold case, interroger ce passé qui aurait beaucoup à nous dire tout en nous éclairant sur notre présent.
Mark Rosaleny,
né en 1970, a grandi dans une banlieue de Valence en Espagne. De
nationalité italienne, il immigre en France à l’âge de treize ans, fait
des études de littérature, part enseigner en Inde avant de devenir
professeur de Lettres-Espagnol en lycée professionnel.
Son premier roman Tuez comme il vous plaira,
est un thriller historique post-franquiste qui se déroule dans la
période 1977-1982 avec des mots propres à chaque personnage.