18/10/2016

Conférence 2 – Octobre 2016

 Miguel Ángel Estrella
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Hélène, qui connaît depuis très longtemps Miguel Ángel Estrella, a évoqué avec émotion et humour, souvenirs personnels et moments forts de la campagne de solidarité internationale mise en place pour la libération de M.A.E.
Elle nous a permis de mieux connaitre le parcours exceptionnel de ce pianiste de la Paix, aux multiples distinctions liées à son art mais également à son investissement sans faille pour les Droits de l'Homme

Après cette très intéressante introduction au concert du 25 octobre, les 32 adhérents présents ont dégusté petits fours et autres douceurs.
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Les origines

Miguel Ángel Estrella naît en 1936 dans la province de Tucumán en Argentine. Il est issu d'un milieu modeste. Son père (poète et paysan) est le fils de paysans libanais émigrés en Bolivie (Estrella est la traduction de leur nom d'origine : Najem), sa mère (institutrice) est une créole argentine avec des ascendances amérindiennes métissées. Il grandit avec ses deux frères à Vinará petit village de la province de Santiago de Estero.
« Dans l’Amérique latine profonde, la légende fait partie de la vie même. On croit aux revenants, chaque arbre, chaque pierre a une histoire, c’est un monde magique et la musique est entremêlée dans tout ça. » 
Miguel Ángel Estrella, La portée de l'espoir, 2010 



A 12 ans, son père l'amène dans un concert. A travers Chopin, il a la révélation de la musique classique. Il fait des études de musique à Buenos Aires (1958) puis à Paris (1965) où il est l'élève de Nadia Boulanger et de Marguerite Long.

Revenu en Argentine en 1966, défenseur des droits de l'homme, il fait des concerts pour les ouvriers de la canne à sucre, les mineurs de Bolivie, les paysans, les indiens, les prisonniers…

« Très jeunes, dès 1960, ma femme et moi, nous voulions prouver que la musique était un langage universel destiné à tous et pas seulement aux élites. Nous, des pauvres de la classe moyenne, nous allions dans les bidonvilles, à la rencontre des publics défavorisés de travailleurs, de paysans, d’Indiens, jouer Brahms et César Frank que l’on mêlait à la musique des habitants. Leur façon d’écouter avec pureté et naturel nous impressionnait beaucoup. »    
Miguel Ángel Estrella

En 1976, se sentant menacé par la junte militaire, Miguel s’enfuit en Uruguay où il sera enlevé en 1977. Il devient l'un des 30 000 « desaparecidos » du « Plan Cóndor » Il sera détenu et torturé physiquement et moralement à Montevideo en Uruguay de 1977 à 1980.

Dès l'annonce de sa disparition, Yves Haguenauer crée et coordonne un comité de soutien avec Nadia Boulanger, Yehudi Menuhin, Henri Dutilleux. Une campagne de solidarité internationale se met en place.   
« Il ne peut être question de rester en repos tant que l’incertitude demeure sur son sort ultérieur, tant qu’Estrella ne sera pas un musicien libre. Aucun musicien ne peut rester indifférent, non par réflexe de défense corporative, mais parce qu’il y va du rapport de la musique à l’humanité. » 
Brigitte Massin, « L’Affaire Estrella », Panorama de la musique, 1978
En 1979, pendant la détention de l'artiste, la maison Erato édite un disque de l'enregistrement d'un concert public réalisé par le pianiste, le 27 mars 1971, à la Maison de Radio France. 13 000 disques seront vendus. 
Grâce à l'appui de la Reine d'Angleterre, M.A.E. continue à jouer dans sa cellule avec un clavier muet.


Des lettres sont envoyées aux présidents d'Argentine et d'Uruguay, au secrétaire général de l'ONU, au pape Paul VI, au directeur général de l'UNESCO signées par trois prix Nobel français (J. Monod, F. Jacob et A. Lwoff) et également par de grands musiciens (O. Messiaen, Y. Menuhin, P. Boulez, H. Dutilleux, Y. Xenakis…). 





Suite aux pressions internationales, il est libéré le 12 février 1980 et se réfugie en France avec sa famille. François Mitterrand lui octroie la nationalité française.
Le pianiste de la Paix
  • En 1982, Miguel Angel Estrella fonde avec Yves Haguenauer "Musique Espérance" dont la vocation est de « mettre la musique au service de la communauté humaine et de la dignité de chaque personne ; de défendre les droits artistiques des musiciens - en particulier des jeunes - et de travailler à construire la paix ». Depuis 1992, Musique Espérance est une O.N.G. reconnue par l'UNESCO. Elle est active dans plus de 32 pays.
« Au moment des premières séances de torture, je disais à Dieu : « Seigneur, j'ai déjà fait beaucoup de choses. J'ai fait l'option pour les pauvres. J'ai quarante ans, je suis jeune et je veux maintenant réaliser quelque chose d'encore beaucoup plus grand. Je voudrais faire une musique contre la torture, contre la haine, contre l'apartheid, contre toutes les forces du mal qui habitent les êtres ». Et je répétais tellement : CONTRE ceci, cela… que j'ai entendu ma propre voix comme un murmure , comme un secret : « arrête avec ces contre, et pense un peu à construire », C'est alors qu'a surgi l'idée de faire une musique pour l'Espérance, devenue aujourd'hui "Musique Espérance". »
  • En 1983, il publie le livre “Musique pour l’Espérance” avec son ami Jean Lacouture. Il lui rendra hommage à Bordeaux le 27 octobre 2016.
« Si tomamos conciencia del rol de hombre público que corresponde obligatoriamente a todo artista, si consideramos la práctica musical como uno de los medios más efectivos para acceder a un ideal de arte y espiritualidad, si tendemos a otorgar al artista implicaciones humanas de universalidad y de fraternidad, debemos darle una alta responsabilidad y esperar de él el respeto de una cierta cantidad de exigencias. "Música Esperanza" responde a la promoción de este rol social. »
                                    Miguel Ángel Estrella

    • En 2000, il reçoit le Prix international pour la Paix (ONU)
    • En 2002, il forme “L’orchestre pour la Paix” (israélo-palestinien) avec 40 jeunes musiciens d'origine juive, musulmane et chrétienne.
    • En 2003, il devient ambassadeur extraordinaire de l’Argentine à l’UNESCO. 
    • En 2011, il crée un BTS de” musicien social” avec l’Université de La Plata & l'Association argentine des “Mères de la Place de Mai”. 
    • Le 26 novembre 2011, il joue pour les obsèques de son amie Danièle Mitterrand dans le parc de l’abbaye de Cluny dans un froid glacial. En 2014, il recevra le Prix Spécial Danielle Mitterrand. Article du Monde.fr Novembre 2011
    •  Le 23 juin 2016, il fait un concert pour les migrants de la jungle de Calais.
    Miguel Ángel Estrella continue à faire de nombreux concerts au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe de l'Est, et dans ses deux patries : l'Europe et l'Amérique Latine, dans des salles prestigieuses comme le « Teatro Colón » de Buenos Aires ou la salle Pleyel de Paris, mais aussi dans les prisons, les écoles, les usines… Il est également Docteur honoris causa de plusieurs universités en Argentine & en Europe, citoyen d’honneur de nombreuses villes dont Toulouse. Il a reçu de nombreuses prix pour son investissement actif pour les droits de l'homme.
    « L’artiste peut-il se contenter de « faire carrière », ou doit-il être un ferment, un éveilleur de consciences, un «révolutionnaire » ? Doit-il suivre les normes fixées par la société, ou lutter pour les faire évoluer, donc les remettre en question, au risque de devenir atypique ? Peut-il se sauver seul, ou doit-il essayer de se sauver avec et par les autres ? Liberté personnelle ou liberté pour tous ? Chacun réagit à sa manière, fixe les limites de l’acceptable et de l’inacceptable, transige ou s’oppose. Mais le choix est inéluctable... »
    Miguel Ángel Estrella
    La Dépêche du Midi - 24 octobre 2016
    La Dépêche du Midi - 31 octobre 2016